Robespierre dans la Vallée de Montmorency


ROBESPIERRE À MONTMORENCY

Maximilien Marie Isidore de Robespierre, né le 6 mai 1758 à Arras (Artois) et mort guillotiné le 28 juillet 1794 à Paris, a marqué de son empreinte la Révolution Française et plus particulièrement la période dite de la Terreur. Il aimait le calme des forêts, où il se promenait avec son chien. Montmorency était une de ses destinations préférées, car il avait une prédilection pour Jean-Jacques Rousseau, qu’il considérait comme un des principaux inspirateurs de la Révolution.

- « D'autres fois, quand Robespierre avait une demi-journée de loisir, ce qui était bien rare, on1 partait pour Montmorency ou pour Versailles, et l'on s'enfonçait dans les grands bois où, durant quelques heures, Maximilien oubliait les agitations et les tempêtes de la vie publique »2.

- « Robespierre (…) s'isolait en de longues promenades aux Champs-Elysées, à Monceaux, plus loin encore, dans la forêt de Montmorency. On le rencontrait, seul, avec son chien, et portant de gros bouquets de fleurs des champs qu'il cueillait le long des haies »3.

Il y a tout lieu de penser que lorsque Robespierre venait à Montmorency, il logeait à l’auberge du Cheval-Blanc.

Déposition auprès du Comité de  sûreté générale : « N° 935. Déclaration de Michel Kessel, citoyen de Riquewihr, logeant à  Paris, rue Jean-Pain-Mollet, n° 8, certifiant que le citoyen Leduc,  traiteur-aubergiste à Montmorency, lui a déclaré, en présence de la citoyenne Steim, marchande de vin, rue Jean-Pain-Mollet, que le jeudi précédent, vers 8  heures du matin, un carrosse a débarqué chez lui 3 hommes et 2 femmes, que, parmi les hommes, il avait reconnu l'abbé Fauchet et l'évêque de Nancy, que Fauchet lui a bien recommandé de cacher leur arrivée, surtout à un député de  la Montagne, qui logeait quelquefois chez lui, que ces gens sont restés dans  une chambre jusques dans l'après-midi, ladite déclaration faite en vue de  donner quelques éclaircissements sur la complicité de l'assassin de Marat. 16  juillet 1793.

Copie, certifiée conforme à l'original, remis au Comité de  sûreté générale par François Chabot, A. JV., W277, n° 82. P. 285 ».

Nous pensons qu’il ne peut s’agir que de Robespierre.


L’attrait de Rousseau

Nous disposons de nombreux témoignages sur l’attrait que Montmorency et les lieux fréquentés par Rousseau ont exercé sur Robespierre.

« L'événement capital qui décida de l'orientation psychologique de Robespierre semble avoir été cette promenade dominicale que, tout jeune étudiant, il avait entreprise dans la forêt de Montmorency et au cours de laquelle il lui fut donné de « contempler les traits augustes » de Jean-Jacques Rousseau »4.

- « Il passa quelques jours à l'Ermitage, dans la vallée de Montmorency. Maximilien aimait à respirer l'âme de son maître dans ces lieux encore tout pleins de la présence de Jean-Jacques Rousseau »5.

L’influence de l’auteur du Contrat social sur l’Incorruptible a été telle que, selon Barni, Robespierre s’en est inspiré pour proposer l’instauration du culte de l’Être suprême, en mars 1794 :

« Ce fut certainement l'idée de Rousseau touchant la religion civile, qui engendra le décret rendu le 18 floréal an II (7 mars 1794) par la Convention nationale, sur le rapport de Robespierre, parlant au nom du comité de salut public : Le peuple français reconnaît l'existence de l'Être suprême et de l’immortalité de l'âme (art. 1er). On raconte que, pour mieux s'inspirer de l'esprit de Rousseau, Robespierre alla écrire son rapport sous les ombrages de Montmorency. C'était certainement sa pensée qu'il reproduisait quand il déclarait qu'il ne s'agissait pas de faire le procès à aucune opinion philosophique, mais de considérer seulement l'athéisme comme antinational. De ce principe général emprunté au Contrat social, passant à l'application qu'il lui convenait d'en faire dans les circonstances présentes, Robespierre ajoutait qu'il fallait envisager cette doctrine comme liée à un système de conspiration contre la République, et il tonnait contre les opinions matérialistes de ceux qu'il enveloppait dans ce système et qu'il avait à ce titré poussés à l'échafaud, depuis Guadet, Vergniaud et Gensonné jusqu'à Danton et à Hébert. Ceci n'est plus sans doute du Rousseau, c'est du pur Robespierre. Mais c'est toujours à Rousseau que Robespierre emprunte l'argument qu'il emploie ici contre ceux qui avaient professé des opinions philosophiques différentes des siennes »6.

Une tradition rapportée par Louis Victor Flamand-Grétry, neveu du compositeur André Grétry, fait coucher Robespierre la nuit du 6 au 7 thermidor 1794 à l’Ermitage, deux jours avant sa chute :

« Il y fit la liste des proscrits de Montmorency. Le 7, il retourna à Paris, porteur de cette liste fatale. Mais l'heureux 9 thermidor parut »7.

Amédée Achard, dont on connaît la verve littéraire, prend en 1855 le relais de cette tradition, en l’agrémentant de détails lyriques :

« Et cependant un homme qui était plus qu'une révolution passa à l'Ermitage. Quel homme ! L’incarnation vivante d'un système, la Terreur en chair et en os, la tête du Comité de salut public, une idée organisée et agissante, Robespierre !

Oui, Messieurs! Voilà Robespierre au beau milieu de Montmorency. Quelle ombre redoutable ne venons-nous pas' d'évoquer du sein de la coquette vallée ! C'est une hache parmi des fleurs. La nuit se faisait. Une nuit chaude et déjà baignée de pâles clartés. Au loin, sur la route, un bruit de grelots sonna; le gravier criait sous les pas précipités des chevaux; une voiture parut dans les teintes brunes du soir et s'arrêta bientôt devant l'Ermitage. Quelques enfants accoururent à demi nus. Des jeunes filles, penchées derrière les haies regardaient; la portière s'ouvrit, et un homme descendit sans hâte ni lenteur, comme un homme qui sait que le temps ne lui échappera pas. Il avait un habit marron à boutons d'acier, une large cravate blanche, un jabot flottant sur son gilet, des manchettes autour des poignets, une culotte de nankin et des souliers à boucle. Tout cela était propre, frais, luisant, tiré à quatre épingles. L'homme rajusta son habit, toussa et tendit sa main, une main petite et frêle, au maire de la commune qui venait en écharpe et en sabots le saluer. Ce citoyen mignard, c'était un représentant du peuple. Quel visage et quel regard ! Un masque de marbre éclairé par deux yeux de chat, étincelants et fauves qui distillaient la volonté. Les lèvres souriaient d'un sourire froid, le geste était poli, l'allure hautaine, le coup d'œil rapide comme l'éclair d'une épée, la parole aigué et lente, les mouvements secs. C'était moins un homme qui marchait qu'une théorie; on comprenait, rien qu'à voir cette physionomie compassée, illuminée par la flamme du regard sans en être échauffée, qu'à la place du cœur cet homme avait un principe.

Les enfants restèrent silencieux, les jeunes filles sentirent mourir l'éclat de rire sur leurs bouches, les hommes frissonnèrent, et les curieux se retirèrent à pas muets, tout pleins d'une inquiétude sans nom.

Les lumières disparurent une à une dans la vallée. Une seule clarté demeura rayonnante derrière les vitres de l'Ermitage. Combien de regards avides et tremblants ne l'interrogèrent-ils pas dans le silence de la nuit ? Combien d'âmes s'épouvantèrent à la vue de cette flamme immobile, devant laquelle passait quelquefois la silhouette anguleuse du conventionnel !

Aux blanches lueurs de l'aube, la lampe s'éteignit : la même voiture parut devant la porte, le même homme descendit sur le seuil ; son visage n'était ni plus pâle, ni son regard moins étincelant, ni son jabot moins bien plissé, ni ses manchettes plus froissées. Il salua le maire, lui remit un papier, monta dans la voiture et disparut.

C'était Robespierre qui, sur la table où les premières lettres de Saint-Preux à Julie étaient écloses, venait de dresser une liste de proscription »8.


    

                    « Il salua le maire, lui remit un papier,                             L’Ermitage de Jean-Jacques Rousseau

                       monta dans la voiture et disparut »

                      (Les Environs de Paris, 1876).


La rencontre entre Robespierre et Bosc

On a beaucoup glosé sur cette rencontre entre les deux hommes, longtemps rapportée par une certaine tradition comme s’étant déroulée en forêt de Montmorency et qui aurait pu mal finir pour le naturaliste, réfugié à Sainte-Radegonde9. Faisons le point de la question.

La réalité de cette rencontre est attestée par un des biographes de Mme Roland, Charles-Aimé Dauban, qui déclare, en 1864 :

« La rencontre de Bosc et de Robespierre à Montmorency est rapportée par M. Arago dans la Notice sur Bosc10, qu'il a lue à l'Académie des Sciences »11.

Il ne livre que l’indication suivante :

« Un jour il (Bosc) se crut perdu : dans une de ses promenades, il se trouva face à face avec Robespierre, qui tout bas prononça son nom. Cependant la tourmente passa, et Bosc reparut après le 9 thermidor ». 

Un biographe de Robespierre, Ernest Hamel, qui fait autorité, donne davantage de détails, en citant une tradition orale, tout en s’entourant de précautions oratoires :

« Nous avons déjà parlé des services nombreux rendus par Robespierre à un certain nombre de personnes. Voici un fait qui nous a été affirmé, et que nous publions sous toutes réserves, ne pouvant en établir l'authenticité. Un jour que Maximilien se promenait dans la forêt de Montmorency avec un révolutionnaire très ardent, il rencontra Bosc, l'ancien administrateur des postes sous Roland, dont Robespierre avait eu fort à se plaindre personnellement, et qui, réduit à se cacher, était venu chercher un asile dans les environs de Montmorency.

- Mais, c'est Bosc, dit à Maximilien son compagnon de promenade, il faut le faire arrêter.

- Non, dit Robespierre, qui avait parfaitement reconnu l'ami de Roland, il a été guillotiné ces jours-ci.

Et à la faveur de ce complaisant mensonge, Bosc put s'éloigner tranquillement et regagner sa retraite »12.

Auguste Rey, en 1905, évite diplomatiquement de se prononcer de manière péremptoire et définitive car, s’il dispose de sources nouvelles émanant directement de Bosc, il hésite à contredire frontalement la tradition montmorencéenne rapportée par Flamand-Grétry et Ponsin. Cela donne le morceau de bravoure litéraire suivant :

« Bosc aurait rencontré Robespierre, se promenant autour de sa demeure de Montmorency, dans la forêt voisine, où lui-même était caché. Mais voici qu'un fragment, nouvellement retrouvé, des mémoires de Bosc (parmi les papiers Faugère), place cette rencontre, non dans la forêt de Montmorency,  mais dans les vignes de Puteaux. Reste donc, en définitive, le témoignage de Flamand-Grétry, venu à l'Ermitage en 1798, et, je dois ajouter, ceux qu'a recueillis et que m'a très obligeamment communiqués M. Ponsin, architecte à Montmorency. M. Ponsin m'a démontré que la tradition remonte jusqu'à la Révolution même, mais non pas que mon enquête ne la détruise »13.

Les « papiers Faugère » dont parle Auguste Rey sont des « fragments autographes » des Mémoires de Bosc légués en 1899, avec d’autres papiers du naturaliste, par la veuve de M. Faugère14 au Museum d’histoire naturelle de Paris. Ils ont été publiés en 1905, par Claude Perroud dans un Appendice du tome 2 de son ouvrage Mémoires de madame Roland (p. 450 à 467). Bosc y déclare :

« Enfin, la chute de Robespierre, avec lequel je m’étais rencontré nez-à-nez huit jours auparavant dans les vignes de Puteaux, rencontre où je l’entendis dire qu’il me croyait mort, me rendit la liberté de me montrer dans Paris avec sécurité »15.

Ce témoignage irrécusable nous paraît devoir clore le débat concernant le lieu où la rencontre s’est déroulée. Il permet de dater l’événement du 19 ou 20 juillet 1794 (huit jours avant le 9 thermidor). Reste à élucider pourquoi Robespierre a manifesté tant d’indulgence envers Bosc, alors qu’il avait eu « fort à se plaindre personnellement » de lui…


LE DÎNER DE GROSLAY

« Faites-moi l'honneur et l'amitié, monsieur, d'accepter un petit dîner patriotique à ma campagne de Grosley (lire Groslay). Choisissez le jour qui vous conviendra le mieux, qui vous dérangera le moins de vos travaux, pourvu que je sois prévenue deux jours d'avance, afin que je puisse réunir monsieur et madame Bitaubé, et quelques autres patriotes qui seront flattés de se rencontrer avec vous... ». Tel est le texte d'un billet que madame Chalabre écrivait à Robespierre, à la fin d'avril 1792, et j'étais du nombre de ces patriotes qui devaient recevoir une invitation ausitôt que le héros aurait fait signe qu'il acceptait, et aurait indiqué son jour. Je la reçus en effet, et fus exact à m'y rendre ».

L’écrivain qui signe ces lignes est Simon Edme Monnel (1754-1822), prêtre, député à l'Assemblée constituante et à la Convention, qui a voté la mort de Louis XVI et dont les souvenirs seront publiés, de manière anonyme, en 1829, quelques années après sa mort, sous le titre Mémoires d’un prêtre régicide. Il nous fait connaître, par ce récit, quelquefois appelé « le dîner de Groslay », un épisode de la vie de Robespierre dans une autre commune de la Vallée, et d’une de ses admiratrices passionnées, madame de Chalabre.


Madame de Chalabre, une admiratrice passionnée de Robespierre
La biographie de la maîtresse de maison, Madame (de) Chalabre, est très incertaine. Son identité est mal cernée par les historiens. Nous avons tenté de la reconstituer, en dépit de nombreuses lacunes et beaucoup de contradictions.

Jeanne, Marguerite de Rigny, épouse Roger de Chalabre, se dit marquise, mais certains auteurs l’intitulent baronne ou comtesse. Beaucoup soupçonnent, en fait, que le titre nobiliaire des Roger de Chalabre a été usurpé. Elle est née vers 1752 (elle a 43 ans en janvier 1795). On ne connaît pas l’identité de son mari (Roger est un nom, accolé à celui de Chalabre, commune de l’Aude). On sait seulement qu’elle est très riche : sa fortune vient de ce que, dans sa belle-famille, on est joueur, croupier ou entrepreneur de jeux de père en fils. Un de ses proches parents, Louis Vincent, marquis Roger de Chalabre, seigneur du marquisat d'Ussé, seigneur de La Madeleine de Bréhémont, de Rigny, de Rivarennes et autres lieux, colonel de cavalerie, chevalier de l'ordre royal et militaire de Saint-Louis, a acquis en 1785 le magnifique château d’Ussé, sur la commune de Rigny (qui sera vendu en 1807 au duc de Duras). Il a été croupier et banquier de la reine Marie-Antoinette, qui a mis le jeu en vogue à la cour, et a gagné des sommes colossales.

Le magnifique château d’Ussé, à Rigny (Indre-et-Loire), où a séjourné la famille Roger de Chalabre, de 1785 à 1789, inspire Charles Perrault, l'auteur de La Belle au Bois dormant.

Madame de Chalabre devient admiratrice de Robespierre et lui écrit des lettres passionnées, que l’on retrouvera chez elle après la chute de Maximilien. La première date du 26 février 1791 : elle est signée tout simplement Chalabre. Jeanne choisit de s’installer quelques mois plus tard à proximité de son idole, dans l'ancien couvent des Dames de la Conception, à côté de la maison Duplay, rue du Faubourg Saint Honoré, où loge Robespierre depuis le 17 juillet 1791. La plupart des biographes de Robespierre doutent qu’elle ait été la maîtresse de l’Incorruptible, mais « la Chalabre » joue peu à peu auprès de lui un rôle redoutable de conseillère et de confidente. « Le regard sinistre d'une Chalabre équivalait quelquefois à un arrêt de mort »16

On ignore, pour le moment, où se situait la maison occupée par madame de Chalabre à Groslay. La seule indication donnée par Monnel est la suivante : « La campagne de madame Chalabre, placée dans un site charmant, au-dessous de Montmorency, n'était pas assez éloignée de Paris pour que je pusse me refuser au plaisir d'y aller à pied ».

Les invités : que des amis !

« La réunion était peu nombreuse. Je trouvai, outre monsieur et madame Bitaubé, Fréron, le camarade de collège de Robespierre, et qui, dans la suite, fut envoyé en qualité de proconsul à Toulon ; Vadier, dont la liaison avec Robespierre commençait alors, et qui, plus tard, devait contribuer à sa chute, après avoir favorisé ses projets ; l'évêque de Bourges, Torné, qui a dû regretter bien amèrement, après cette époque, les liaisons qu'il eut avec le chef de la Montagne, et l'amitié, l'admiration même qu'il lui témoigna ; Ronsin, qui fut tour à tour général de l'armée révolutionnaire, commissaire du pouvoir exécutif, et qui, avant de figurer sur la scène politique, avait joué, dans la république des lettres, un rôle tellement obscur, qu'il est entièrement oublié de nos jours. (…) Camille Desmoulins était aussi au nombre des convives de madame de Chalabre. Les autres, en petit nombre, étaient des personnages peu connus, et qui n'ont pas figuré dans la révolution ».

Faisons rapidement la connaissance de ces personnages :

- Lucie Simplice Camille Benoît Desmoulins (1760-1794) a fait ses études au lycée Louis-le-Grand, où il a côtoyé Robespierre. Il a commencé sa carrière comme avocat et est devenu journaliste en 1789. Il a été élu en 1792 à la Convention nationale, siégeant parmi les Montagnards, dont il s’éloignera peu à peu en fondant un journal, Le vieux cordelier, où il attaquera les Enragés.

- Louis Marie Stanislas Fréron (1754-1802) a été camarade de lycée de Robespierre à Louis-le-Grand. Député à la Convention, il est montagnard et régicide. Envoyé à Marseille et à Toulon avec Barras en 1793, il y fera régner la terreur, de façon arbitraire et odieuse (plusieurs milliers de fusillés). Après la chute de Robespierre, Fréron rejoindra franchement le camp de la réaction, en prenant la tête d’un groupe de « hooligans » de l’époque, appelés Muscadins. Après le coup d’Etat du 18 brumaire, il deviendra l'amant de Pauline Bonaparte, avant de mourir en 1802 à Saint-Domingue.

- Marc Guillaume Albert Vadier (1736-1828) a siégé  à l’Assemblée constituante et a été réélu à la Convention en 1792. À partir de septembre 1793, il deviendra président et doyen du Comité de sûreté générale, organe policier et répressif de la Terreur. Député pendant les Cent-Jours (1815), il sera exilé comme régicide en 1816 et mourra en 1828 à Bruxelles.

- Paul Jérémie Bitaubé (1732-1808), pasteur calviniste, né en Prusse de parents français, est principalement connu pour sa traduction de l’Illiade et de l’Odysée, d’Homère. Il s’est marié en 1758 avec la fille d’un membre de la colonie française, Pierre Jordan.

- Charles Philippe Ronsin (1751-1794) a d’abord mené une carrière militaire, puis a quitté l’armée avec le grade de caporal pour devenir dramaturge. Il a repris du service pendant la Révolution. En septembre 1793, il deviendra général en chef de l’armée révolutionnaire de Paris.

- Pierre Anastase Torné (1727-1797), né à Tarbes, a été sous l’Ancien Régime prédicateur du Carême à la cour de Versailles, aumônier du roi Stanislas de Pologne et académicien à Nancy. En 1789, il s’est tourné vers les grandes idées révolutionnaires. Il a été élu évêque constitutionnel de Bourges (non reconnu par le Vatican) et est devenu député du département du Cher. Il renoncera à la prêtrise en 1793 pour se marier, mais il divorcera rapidement et mourra misérablement en 1797.

     

                                                       De gauche à droite : Fréron, Bitaubé et l’abbé Torné.

L’élégant, mais redoutable Robespierre

« Robespierre se fit attendre et arriva fort tard. Il n'avait pu, dit-il, se refuser aux visites de plusieurs membres de sociétés patriotiques de sa province qui étaient venus le consulter sur leur organisation et quelques mesures importantes. Il glissa là-dessus avec une modestie affectée, et je m'aperçus avec surprise que j'étais le seul qui ne fût pas sa dupe, tout le monde autour de moi témoignant à Robespierre l'admiration la plus profonde, et des sentiments qu'à cette époque devaient inspirer bien plus que lui une foule de ses collègues. Car on n'avait pu juger encore de ses vues, et les circonstances ne l'avaient mis à même que de déployer une partie des talents dont il a fait preuve dans la suite.

Ce fut la première fois que j'eus occasion de remarquer l'élégance et la recherche de sa toilette. C'est le seul point, peut-être, sur lequel Robespierre n'ait jamais cédé aux idées du jour : lorsque le sansculottisme triomphant mit à la mode le cynisme de costume et la malpropreté, il poussa jusqu'à l'affectation le soin qu'il avait toujours porté à sa mise, et cette circonstance fut cause d'une méprise qui aurait pu devenir fatale à celui qui la commit. Voici le fait : au plus fort du régime de la terreur, Mossi (en réalité Mossy), imprimeur-libraire de Marseille, se trouvant à Paris, assistait un soir à une séance du club des Jacobins. Les propositions les plus furibondes s'y succédaient, et Mossi les écoutait au milieu d'une foule en carmagnoles et en bonnets rouges; mais tout à coup il se coudoie avec un individu au teint pâle, portant lunettes vertes, habit de soie, cheveux poudrés et frisés avec soin. Mossi baissa sur lui un regard d'étonnement et de surprise, et laissa tomber le nom de muscadin. Mais le muscadin fit un pas en arrière, releva ses lunettes sur son front, et fixa entre les deux yeux le Marseillais, qui sans trop savoir pourquoi se sentit saisi de frayeur, se glissa doucement dans la foule, et avant de sortir demanda quel était cet homme-la. C'est Robespierre lui répondit-on. Il n'eut rien de plus pressé que de repartir pour Marseille. Plus d'un mois après son aventure, il ne croyait pas que sa tête fût solidement établie sur ses épaules ».

Un personnage adulé

« Mais revenons au dîner de madame Chalabre, dont cette anecdote nous a écartés, poursuit Monnel. Je m'étais flatté d'abord que si la politique n'était pas entièrement bannie d'un dîner fait à la campagne, dans la plus belle saison de l'année, elle ne serait pas du moins le sujet exclusif de la conversation, et j'avoue que je n'étais pas fâché, pour ma part, d'échapper quelques instants à ce thème, qui depuis longtemps faisait l'objet de tous mes travaux, de tous mes entretiens. Mais je m'étais cruellement trompé. Les séances de nos assemblées législatives, aux époques les plus graves de notre histoire, ne dirent jamais plus sérieuses que la réunion qui entourait la table de madame Chalabre. On y discuta les intérêts du jour. On y passa en revue les différents gouvernements, depuis la monarchie absolue, jusqu'à la démocratie la plus complète, et surtout on vérifia les titres à l'estime publique de tous les députés et de tous les fonctionnaires publics. Robespierre parla fort peu, et le moindre de ses propos fut accueilli comme un oracle. Madame Chalabre, Vadier et Ronsin, témoignaient surtout une admiration qui, bien certainement, n'avait rien de simulé ni de contraint. Elle naissait de l'intime persuasion que Robespierre unissait, aux connaissances les plus profondes, aux talents les plus transcendants, toutes les vertus qui peuvent orner le cœur de l'homme.
Torné partageait cet enthousiasme.

- Si j'étais député, disait-il, comme j'observerais vos traces, pour les suivre fidèlement ! Combien je serais heureux, si je pouvais mériter le nom de petit Robespierre, je le mérite, au reste, par la conformité de tous mes principes avec les vôtres.
- Non,
disait madame Chalabre, je ne trouve pas d'expression qui puisse rendre la surprise, l'émotion que m'a causée la lecture de votre dernier discours. Oui, vertueux Robespierre, vous seul pouvez sauver la France, vous seul pouvez lui servir de guide, daus la route périlleuse et nouvelle où elle est engagée !

Cependant, impassible et froid, Robespierre s'inclinait et répondait à peine à ces fades adulations ».

Deux convives résistent au charme de l’incorruptible

« Camille Desmoulins fut le seul qui ne suivit pas le torrent, et le seul aussi dont la conversation put me distraire, par intervalles, de la fatigue que me donnaient les graves questions politiques et financières sur lesquelles on me demandait mon avis, et où il me fallait prendre part, bien malgré moi. Ses piquantes saillies amenèrent plus d'une fois sur mes lèvres un sourire, qui ne paraissait pas devoir se montrer à pareille réunion.


Camille Desmoulins, camarade de collège de Robespierre


Le dîner et la conversation se prolongèrent fort longtemps, sans rien perdre de leur gravité. Je revins seul à Paris. Tout ce que je venais d'entendre était pour moi un sujet de réflexion, qui ne me permettait pas de m'apercevoir de la solitude au milieu de laquelle je me trouvais. J'avais déjà été à même de voir Robespierre dans sa société intime, et tout éloigné que j'étais de partager l'enthousiasme qu'il inspirait à certaines personnes, je croyais prévoir qu'il était appelé à jouer un rôle d'une certaine importance. Mais sa personne, ses opinions véritables, et ses projets étaient alors pour moi, ce qu'ils devaient être sans doute pour une foule de contemporains, un véritable problème ».

Épilogue : l’heure des règlements de comptes

Les suites de ce « dîner de Groslay » montrent à quel point la Terreur a été, plus que tout autre période, un temps de « petits meurtres entre amis ». Qu’on en juge par le terrible jeu de trahisons qui se produira au cours de l’année 1794 entre les invités de cette soirée :

- Le 13 mars, Robespierre fait arrêter les dirigeants du club des Cordeliers, dont le général Ronsin, chef de l’armée révolutionnaire, qui est guillotiné le 24.

- Ne pouvant plus soutenir les activités de son ami d’enfance, considéré comme « dantoniste », Robespierre rédige, pour Saint-Just, un acte d'accusation contre Camille Desmoulins, qui périt sur l’échafaud le 5 avril. La femme de ce dernier, Lucile, est guillotinée une semaine plus tard.

- Robespierre est à son tour sur la sellette. Stanislas Fréron complote contre lui et prend part au coup d’État du 9 thermidor (27 juillet). « Ah! qu'un tyran est dur à abattre ! » déclare-t-il à la tribune, impatient de voir tomber la tête de son ennemi. Ce dernier est guillotiné le lendemain.

Robespierre est guillotiné avec 20 autres personnages politiques le 10 thermidor an II (28 juillet 1794)


- Marc Vadier n’est pas de reste : il lit le 14 juin à la Convention le dossier à charge, constitué de fausses preuves, contre Catherine Théot, ridiculisant ainsi le mysticisme de Robespierre et précipitant sa chute. Il prend la parole contre lui à la Convention, les 8 et 9 thermidor.

- Jeanne de Chalabre, de son côté, dénonce ses amis Bitaubé, écoeurés par les excès de la Terreur : « Elle devint notre plus cruelle ennemie, dit Mme Bitaubé dans une lettre à ses frères, du moment où elle nous vit contraire à ses opinions, comme à celles de son héros. Liée intimement avec Robespierre, elle nous persécuta comme une furie »17. Par chance, ils sauveront leur tête et Paul Bitaubé poursuivra sa brillante carrière d’écrivain, notamment comme membre de l’Institut, avant de mourir en 1808, trois semaines après son épouse.

Cerise sur le gâteau, l’ardente admiratrice de Robespierre donne un bel exemple de lâcheté et de trahison de l’être aimé. Elle est arrêtée par le Comité de Sûreté générale le 9 août, « pour fréquentation de la maison de Robespierre ». Parmi les signataires du décret figure le nom de Marc Vadier ! Transférée de prison en prison, elle reste incarcérée un an. Alors que les geoles se vident, elle demeure prisonnière et cherche par tous les moyens à se faire libérer. Pour attirer la clémence de ses juges, elle ne trouve pas mieux que de déclarer « ne connaître d'autre cause de sa détention, que d'avoir été voisine du scélérat Robespierre » ! Enfin libérée le 20 août 1795 de Sainte-Pélagie elle retourne quelque temps rue Saint-Honoré. On perd ensuite sa trace. « Maintenant, on m'a dit qu'elle s'était retirée à la campagne, infirme et ruinée... », écrit Mme Bitaubé dans une de ses lettres. La date et le lieu de sa mort nous sont inconnus.

Madame de Chalabre, admiratrice passionnée de Robespierre

Ernest Hamel décrit ainsi la réaction de Mme de Chalabre après un discours du célèbre tribun, prononcé le 2 janvier 1792 à la tribune des Jacobins18 :

« En lisant ce discours, inséré in extenso dans le journal de Prud'homme, madame de Chalabre ne put contenir son enthousiasme, et elle écrivit immédiatement à Maximilien : « Non, je ne trouve pas d'expression, qui puisse rendre à l'inimitable Robespierre la surprise, l'émotion, que m'a causées la lecture de son intéressant et utile discours dans la dernière Révolution de Paris, Les patriotes ont bien fait de l'y insérer, parce que ce journal se lit beaucoup et va partout. On ne sauroit trop se hâter de prémunir les vrais Francois contre les pièges de la cour ».

Et plus loin, après une assez vive critique de l'aveuglement où lui semblaient être les partisans de la guerre : « Je ne puis résister au sentiment de reconnoissance que m'inspire la vertueuse conduite du fidèle Robespierre, malgré le conseil qu'il nous donne luimême de ne pas trop nous livrer à ces transports. Sa touchante modestie produira l'effet contraire, à en juger par moi, mais il ne sera pas dangereux pour la liberté, la plus noble émulation en sera le fruit ».

Robespierre avait beau supplier ses amis de modérer l'ardeur de leur enthousiasme, ses conseils n'étaient guère écoutés. Et ce fut précisément son immense popularité, fondée sur les titres les plus légitimes, qui exaspéra contre lui tout le parti des Girondins ».


Hervé Collet,

mars 2011.


Bibliographie

- Denis Alexandre Martin, Antoine-Christophe Merlin de Thionville, Simon Edme Monnel, Mémoires d'un prêtre régicide, Volume 1, C. Mary, 1829, 445 p. 

- François-Emmanuel Toulongeon, Histoire de France depuis la Révolution de 1789, écrite d'après les mémoires et manuscrits contemporains, recueillis dans les depôts civils et militaires, Vol. 4, Treuttel et Würtz, 1803, 155 p.

- Ernest Hamel, Histoire de Robespierre et du coup d'état du 9 thermidor, Vol. 2,  A. Cinqualbre, 1866, 726 p.

- Paul-Auguste-Jacques Taschereau-Fargues, À Maximilien Robespierre aux enfers, Chez les marchands de nouveautés, Paris, 1795, 31 p.

- Auguste Rey, Le Château de la Chevrette et Madame d'Épinay, Plon-Nourrit, 1904, 283 p.


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1 On désigne la famille Duplay, qui hébergeait Robespierre à Paris.

2 Ernest Hamel, Histoire de Robespierre, vol. 3 : La Montagne, A. Lacroix, Verboeckhoven & c., 1867, p. 296.

3 François-Emmanuel Toulongeon, Histoire de France depuis la Révolution de 1789, Vol. 4, Treuttel et Würtz, 1803, p. 17.

4 Gérard Walter, Robespierre : l’œuvre, Gallimard, 1961, p. 138.

5 Alphonse Esquiros, Histoire des Montagnards, vol. 2, V. Lecou, 1847, p. 457.

6 Jules Romain Barni, Histoire des idées morales et politiques en France au dix-huitième, vol. 2, 1867, p. 289).

7 Louis Victor Flamand-Grétry, L'Ermitage de J.-J. Rousseau et de Grétry, poëme avec figures et notes, 1820, p. 171.

8 Article paru dans la brochure Les environs de Paris : Histoire, monuments, paysages, Versailles, Saint-Cloud, etc., P. Boizard, 1855, p. 136.

9 Cf. l’article de Gérard Ducoeur : « Louis Augustin Guillaume Bosc d’Antic (1759-1828) en Vallée de Montmorency ».

10 Nous n’avons pu, pour le moment, avoir accès à cette notice.

11 Charles-Aimé Dauban, Étude sur Madame Roland et son temps, H. Plon, 1864, p. XCII.

12 Ernest Hamel, Histoire de Robespierre et du coup d'état du 9 thermidor, 1866, p. 679.

13 Auguste Rey, Le Château de la Chevrette et Madame d'Épinay, Plon-Nourrit, 1904, 283 p., en part p. 243, note 2.

14 Prosper Faugère était petit-neveu par alliance de Louis Bosc.

15 Claude Perroud, Mémoires de madame Roland, vol. 2, Plon-Nourrit, 1905, p. 457.

16 P.-A. Taschereau-Fargues, À Maximilien Robespierre aux enfers, Chez les marchands de nouveautés, Paris, 1795, p. 11.

17 François-Emmanuel Toulongeon, Francis Broderip, Histoire de France, depuis la révolution de 1789 : écrite d'après les mémoires et manuscrits contemporains, recueillis dans les depôts civils et militaires, Vol. 4, Treuttel et Würtz, 1803, p. 417.

18 Ernest Hamel, Histoire de Robespierre et du coup d'état du 9 thermidor, vol. 2, p. 66.